Permettez-moi de me présenter, je suis la cognition.
Je suis essentiellement de l’information. Pour être plus précise, je suis un ensemble de processus vous permettant de connaître, ce qui nécessite d’acquérir, de manipuler et de créer de l’information. Ma mission principale est d’élaborer pour vous une représentation cohérente de vous-même et du monde où vous vous trouvez afin de vous aider à interagir avec les éléments qui le composent. Je m’appuie pour cela sur un éventail de modules spécialisés fonctionnant fréquemment de manière conjointe. Ceux-ci vous permettent notamment de focaliser votre attention, d’apprendre et de retenir, d’utiliser un langage articulé, de programmer et d’exécuter des gestes, de compiler les différentes informations provenant de vos sens, de raisonner, de prendre des décisions, ou de vous empêcher de faire la première chose qui vous passe par la tête, ce qui est toujours utile quand un chauffard vous grille la priorité.
Somme toute, je ne suis qu’un outil. Ultraperformant, certes, mais un outil tout de même.
De nombreuses personnes pensent que je vis dans le cerveau, ce qui est assez pratique et facile à imaginer. Et si cela vous va, cela me va aussi. D’autres me situent un peu partout dans le corps, ou bien dans les actes que vous accomplissez, voire également dans les objets que vous utilisez. D’autres encore considèrent que je n’ai pas de lieu précis, et que je nais entre les individus ou encore d’autres théories, plus philosophiques. D’ailleurs, si je me suis définie comme un ensemble de processus de gestion de l’information, sachez que je ne vous montre que l’un de mes déguisements, l’une de mes apparences, l’une de ces théories. En vérité, les chercheurs ne m’ont pas encore coincée et grâce à moi les librairies universitaires ont encore de beaux jours devant elles. Sachez que tout ceci n’a pas beaucoup d’importance. La seule chose importante est que je suis, que vous savez – grâce à moi – que je suis là et que vous aussi vous êtes là. Je pense donc vous êtes.
Sans moi, vous seriez perdu(e) dans un environnement étrange et abscons, où le temps n’existe pas et la causalité encore moins, où rien n’a de signification ni de permanence, où ce que vous voyez et ce que vous touchez ne coïncide jamais, où vous ne parvenez ni à agir volontairement, ni à comprendre, ni à raisonner, ni à décider, ni à apprendre, ni même à remarquer quoi que ce soit. D’ailleurs ce « vous » n’existe pas car vous n’avez aucune conscience de vous-même et aucune capacité à vous distinguer de votre environnement. Oui, sans moi votre vie serait si différente qu’il vous est aujourd’hui totalement impossible de l’appréhender et encore moins de la concevoir. C’est pour cela que j’apparais très tôt, et que je passe de longues années à me peaufiner, me développer et aussi, il faut bien le dire, à raconter des âneries et à prendre des vessies pour des lanternes.
Je dois en effet confesser avoir une très haute idée de mes capacités, laquelle éclipse le vaste champ de mes erreurs et approximations quotidiennes dont le potentiel de nuisance est pourtant parfois considérable. A ma décharge, je demande beaucoup d’énergie pour opérer à un niveau optimal. Je suis donc contrainte de faire la plupart du temps des raccourcis afin de pouvoir par ailleurs me concentrer sur ce qui vous semblera vraiment important. Ainsi prenez-vous toute la journée un très grand nombre de décisions et élaborez-vous une infinité de jugements qui vous semblent rationnels mais qui sont rarement issus d’une analyse poussée des données du problème, quand bien même seriez-vous statisticien ou scientifique. De même, ne vous attendez pas à retenir tous les événements de la journée, ce serait tout bonnement invivable pour vous et totalement inapte à faciliter votre adaptation à votre environnement. Je fonctionne donc sur deux modes. Un mode lent, gros consommateur d’énergie, mais fiable et précis. C’est celui que vous utilisez quand vous portez intentionnellement votre attention sur quelque chose. Mon autre mode est rapide, et c’est mon mode de fonctionnement le plus fréquent, au point que vous ne vous rendez même pas compte que vous l’utilisez, tout comme vous respirez sans y penser. L’inconvénient est que s’il est rapide, c’est parce qu’il procède par approximations. Il est donc moins fiable et il vaut mieux ne pas trop l’utiliser pour les tâches complexes. Voyez par exemple quand vous travaillez juste après avoir déjeuné. La digestion prenant toute votre énergie, cela m’oblige à fonctionner en mode économie. La qualité du travail s’en ressent et vous commettez davantage d’erreurs.
Tant que l’on parle d’erreurs m’étant imputables... J’oublie aussi un peu trop souvent que la connaissance que je vous transmets de vous et du monde est une peinture dont l’exactitude n’est qu’une vaste blague. Cela, mea culpa, peut en outre tout aussi bien vous desservir. C’est le cas si je me suis forgé au cours de votre vie une interprétation des événements excessivement lugubre, assortie de tout un tas de croyances négatives sur vous-même. « je suis nul » « il faut absolument» « j’ai toujours été ainsi » « je ne changerai jamais » « je suis incapable de », « personne ne m’aime », « c’est ma faute », etc. Pour ma part, cela ne me dérange pas plus que cela car voyez-vous, je n’éprouve aucune émotion.
Ça, c’est une autre partie de vous qui s’en charge. Nous travaillons souvent ensemble mais ce n’est pas de gaieté de cœur. Je n’ai rien contre les émotions, et il nous arrive de coopérer avec grand succès. Cependant si vous me demandiez mon avis, je vous dirais qu’elles ressemblent davantage à un gros chien sympathique. Un de ceux qui finit toujours par mordre les fauteuils, baver dans vos pantoufles et vous attraper par le bas du pantalon pour vous traîner dehors à l’heure de la promenade. Chacun chez soi, c’est ma devise. Ce n’est malheureusement pas la leur et elles n’hésitent pas à surgir aux moments les plus incongrus pour me faire m’emmêler les pinceaux. C’est ce qui explique que si vous êtes sous le coup d’une émotion quelconque, stress, joie, tristesse, colère, vous aurez quelques difficultés à effectuer une bête addition ou à vous souvenir de ce que vous avez à faire aujourd’hui.
Je suis performante, mais je me laisse aussi facilement perturber. Je suis comme vous, et à votre image. Je fais de mon mieux mais personne n’est parfait.